[Sorry, anglophones, but I had to write this one in French, an attempt to get it published in the Belgian press today. Since that didn't happen, my readers get to see it here.]
Ceci a été inspiré par l'excellent "Appel aux Américains libres" d'Antoine Buéno, sur France Inter à la suite de l'élection du 8 novembre dernier aux Etats-Unis. Ma tribune n'est pas drôle comme le podcast, mais s'adresse aux européens qui s'inquiètent - comme beaucoup d'américains - en ce 20 janvier 2017.
Appel du 20 janvier: un américain parle aux européens
Si aujourd'hui, vous vous êtes réveillé avec une vague angoisse, c'est peut-être en connaissance du fait qu'à la fin de journée, l'adulte intelligent qu'est le président Barack Obama sera remplacé par Donald Trump. Après la cérémonie d'investiture, le déni ne sera plus possible; Trump investit la Maison Blanche. Que faire?
Pour les américains ayant voté pour Hillary Clinton - près de 3 millions de plus que les électeurs du candidat républicain - Trump représente le plus grand clivage politique que le pays ait connu depuis la fin de la guerre civile en 1865. Certes, la Grande Dépression anéantit quasiment l'économie américaine dans les années trente, mais il n'y eut pas de véritable poussée extrémiste. Il y eut bien des charlatans engagés dans la politique, mais ils n'accédèrent jamais à la présidence. Des présidents médiocres aussi, mais jamais à la tête d'une superpuissance mondiale et nucléaire.
Quand il faut se référer aux magazines de psychologie pour essayer de comprendre un président ultra-narcissique, il y a problème: une dichotomie dans notre fascination pour Trump. Nous ne pouvons nous empêcher de regarder, tout en nous moquant du style "Louis Farouk", les photos des appartements couverts de dorures de la Trump Tower. L'internet nous inonde des sorties incessantes de Trump. Mais il ne faut pas nous laisser intimider par sa dernière tirade publiée sur Twitter; il dira sans doute le contraire demain. Gare aussi à ceux qui se contentent de se gausser du comportement bouffonesque de cette ex-star de télé-réalité. Aujourd'hui, il est président.
Aux Etats-Unis, la résistance à tout ce que représente Trump s'organisera surtout au niveau local. Ces villes qui passent des lois en faveur d'un salaire minimum décent, ces états qui continuent à installer panneaux solaires ou éoliennes face au réchauffement de la planète, nié par Trump. A Washington, la minorité démocrate au Sénat va peiner à restreindre la vague de nominations d'idéologues ou d'acolytes peu qualifiés aux postes les plus importants, où la tendance Trump est de mettre le loup dans la bergerie (un avocat des plus grandes banques d'investissement pour "contrôler" Wall Street; un promoteur de toutes les énergies fossiles à l'agence pour la protection de l'environnement, etc.). Le plus grand défi pour les Démocrates: préserver l'héritage des présidents Roosevelt, Johnson, et Obama, pour sauvegarder les acquis en matière de droits civiques, de pension vieillesse et d'assurance santé, ciblés de longue date par le parti républicain.
Et l'Europe, que peut-elle faire pour assurer que le choix malheureux d'une minorité des électeurs américains ne pénalise pas l'Europe et n'affaiblisse pas les institutions issues de la deuxième guerre mondiale? Si Trump approuve le Brexit, c'est son affaire, et ses commentaires anti-Union Européenne devraient inciter les pays membres à lui répondre "None of your business". Et barrer la route à ceux qui veulent imiter Trump ce côté-ci de l'Atlantique.
Les propos de Trump sur l'OTAN - il traite l'alliance atlantique d'obsolète, et a fait comprendre que la mise en oeuvre de l'Article V définissant la stratégie de défense commune en cas d'attaque serait assujettie à une participation financière accrue - ces propos devraient inciter les chefs d'état et de gouvernement européens à resserrer leurs liens. Non seulement à défendre l'OTAN (et à rappeler à Trump que l'Article V fut invoqué pour la première fois au lendemain des attaques du 11 septembre 2001, quand l'OTAN mobilisa des avions AWACS pour défendre les Etats Unis), mais aussi à renforcer une défense strictement européenne.
Le double séisme électoral anglo-saxon de 2016 - d'abord le Brexit, suivi par la victoire de Trump - demande une réflexion approfondie pour revigorer les institutions affaiblies par la désertion d'une grande puissance de l'Union Européenne, et par l'inexpérience et le dédain exprimé pour les fondements de l'alliance atlantique par le chef de l'état le plus puissant de l'OTAN. L'Europe devrait revoir les ressources attribuées à sa défense, non pas parce que Trump exerce un chantage avec l'Article V, mais parce que c'est dans l'intérêt des pays européens.
Le caractère imprévisible de Trump, le départ des britanniques de l'UE, l'état-major de l'armée turque (deuxième plus grande armée de l'OTAN) décimé suite au coup d'état manqué de juillet 2016 - sans parler des agissements russes aux frontières de l'Europe - militent en faveur d'une redéfinition et d'un renforcement de l'Europe de la défense. Ceci n'est ni anti-américain ni anti-russe; c'est tout simplement nécessaire face à la situation géopolitique de 2017.
Quand les pays membres de l'UEO - l'Union de l'Europe Occidentale, organisation de défense fondée en 1948, avant même la création de l'OTAN - ont annoncé en 2010 la cessation des activités, c'était dans la confiance grandissante envers la politique de sécurité et de défense commune établie par l'Union Européenne. Mais en 2010, personne n'imaginait le Brexit, ni le retrait de la deuxième puissance militaire de la défense européenne. La restauration de l'UEO - dont la Grande Bretagne était un des pays fondateurs (avec le Bénélux et la France) - serait un moyen d'ancrer les britanniques dans la défense commune européenne, et de construire un meilleur pilier européen au sein de l'OTAN. Et Trump ne pourrait rien pour contrarier une telle décision.
Pendant la longue campagne présidentielle, l'Europe pouvait rire ou s'agacer de l'homme-enfant qu'était le candidat Trump. Ce personnage inexpérimenté, instable et imprévisible s'installe maintenant à la Maison Blanche; l'Europe peut se démarquer par sa constance, sa fidélité à son histoire, ses valeurs. Déja, des voix s'élèvent contre son idée d'installer l'ambassade américaine à Jérusalem, vue comme une "provocation" par le ministre français des affaires étrangères. Plus il se montre extravagant, plus il diminue l'influence du poste auguste qu'il occupe. A Davos, c'est le président chinois qui a profité du désarroi que Trump est en train de créer dans les instances internationales.
L'incertitude va s'installer aux Etats-Unis. Plus que jamais, l'Europe doit être déterminée et unie. Et garder en tête que Trump commence son mandat comme le président le plus impopulaire des temps récents dans son propre pays.
Depuis toujours, tout bon ambassadeur auprès des Etats-Unis sait qu'il faut étendre ses contacts au delà du Département d'Etat et de la Maison Blanche, et même au delà de Washington. La décentralisation du pays impose une bonne connaissance des multiples niveaux de gouvernement. Dans l'ère Trump, il va falloir une vigilance extraordinaire, vu les conflits d'intérêts annoncés entre ses affaires privées et l'administration Trump. Les instances européennes doivent se protéger de ce mélange des genres en exigeant transparence et clarté auprès de l'administration Trump.
Comme dans un mauvais péplum des années cinquante, où les sbires de Néron s'affolent de ses dires les plus fous, les conseillers de Trump sauront-ils constituer un garde-fou? Rien n'est moins sûr. Heureusement nombreux sont les américains qui s'opposent, et avec les européens il faut défendre un idéal non basé sur l'adoration du pouvoir et de l'argent, mais construit sur l'idée pérenne d'une société juste. Même si Trump - tel le Néron du péplum - ne connaît pas le sens de memento mori (il parle de huit ans à la Maison Blanche) nous savons qu'il n'est pas éternel, que son mandat n'est que de quatre ans. Préparons-nous déjà pour l'après-Trump en ce jour de son investiture.